Topographie mémorielle (post)coloniale

Les questions de mémoire et d’image de soi au cœur du combat socioéconomique en Afrique postcoloniale

Dschang, UDs/SIC-27/07/18. Les experts en management s’accordent sur le principe qu’une entreprise aspirant à la croissance doit avant tout mettre son personnel en confiance. Cette règle d’or vaut nécessairement aussi pour toute société humaine dans sa quête de développement. C’est une règle qui s’impose davantage aux sociétés africaines qui ont connu des siècles de discours de dénigrement avec pour conséquence une altération de leur image de soi. En considérant cet état des choses, les questions de mémoires et d’image de soi s’imposent comme facteurs déterminants du combat socioéconomique que les peuples africains mènent depuis leur accession aux indépendances.

Le projet Topographie mémorielle (post)coloniale entre l’Université de Dschang et l’Université de Düsseldorf qui vient de s’achever au Département de Langues Etrangères Appliquées s’accorde donc parfaitement avec les préoccupations les plus actuelles des peuples autrefois colonisés comme le Cameroun. Cette actualité est d’autant plus incontestable qu’à regarder de près, la colonisation n’a jamais réellement pris fin. Au contraire, elle semble s’être muée sous une forme beaucoup plus pernicieuse au point où il n’est pas exagéré de dire que le néocolonialisme est pire que la colonisation et l’esclavage réunis : si avec la période esclavagiste l’Afrique fut privée de ses hommes les plus robustes pour servir de main d’œuvre dans les plantations européennes, si à l’époque coloniale elle fut appauvrie de ses ressources naturelles au profit de l’Europe, avec le néocolonialisme l’Afrique connait aujourd’hui une importante saignée à la fois de sa matière grise et de ses matières premières. Dans un article de Cameroun tribune du 26 avril 2006, Yves Atanga explique en parlant de l’expatriation des médecins camerounais qu’on en trouve au moins 5 000 actuellement à travers le monde, selon l’ONMC. Il ajoute : Dans un contexte où le nombre de médecins est déjà loin d’être suffisant, la fuite des cerveaux vient remuer le couteau dans la plaie. Ces départs massifs (25 à 30 % des professionnels formés au Cameroun ont quitté le pays à ce jour) se greffent à la situation des milliers de Camerounais partis étudier dans les universités étrangères (Etats-Unis, Grande-Bretagne, France, Italie, Afrique du Sud…), qui, pour 70 à 80 %, restent dans le pays qui les a formés, y trouvant rapidement un emploi bien rémunéré et beaucoup d’autres avantages. Comme, en plus, les nouvelles du pays ne sont pas encourageantes (gel des recrutements), le choix de ces compatriotes est vite fait. De l’avis de Yves Atanga comme de bien d’autres observateurs, la fuite massive des cerveaux africains est due aux difficultés économiques du continent qui ne lui permettent pas de créer ses industries pour exploiter ses propres matières premières afin d’offrir de meilleures conditions de vie à ses populations. En faisant siens les propos du ministre de la santé de l’époque, il décalre : Le ministre de la Santé publique ne croyait pas si bien dire quand il déclarait : “Nous sommes en compétition avec les pays séparer  qui fait partir nos docteurs est évident : c’est la quête d’un mieux-être. Dans un monde où les compétences se vendent au plus offrant, les pays riches happent ces ressources humaines si porteuses d’espoir. La fameuse compétition semble donc perdue d’avance.

Certes il y a des problèmes économiques en Afrique, mais il y a lieu de penser que cette saignée est surtout attribuable à un conditionnement mental qui fait que tout le monde, y compris les Africains eux-mêmes, ne perçoivent l’Afrique qu’à travers le seul prisme du capitalisme occidental; un prisme qui, bien évidemment, ne peut révéler que des misères en Afrique, occultant par la même occasion tout ce qui peut y avoir de positif. En effet, comme le fait remarquer Césaire dans Discours sur le colonialisme (1950), la colonisation est fille du capitalisme occidental. Regarder l’Afrique à travers le seul prisme du capitalisme occidental c’est dont l’apprécier sous le prisme déformant des stéréotypes d’origine coloniale ; d’où le désamour manifeste d’un nombre considérable d’Africains vis-à-vis de leur l’africanité. La pauvreté déclarée de l’Afrique est une construction, depuis l’esclavage et la colonisation, qui maintient les Africains dans un tel sentiment de pauvreté et de désamour de soi que cette pauvreté finit par prendre corps car la tendance à l’extraversion que ce sentiment génère érige les Africains en vecteurs de leur propre sous-développement. L’un des problèmes majeurs de l’Afrique c’est qu’émigrés ou non, les Africains contribuent plus à la prospérité économique des pays dits riches.

Requestionner la mémoire coloniale africaine peut avoir l’avantage de la dépouiller de ses contrevérités, d’assainir l’imaginaire africain, de réconcilier l’Africain avec son africanité et partant, de réinstaurer ce climat de confiance des peuples africains affecté par les tribulations de l’histoire. C’est le passage obligé pour une Afrique qui aspire à s’inscrire réellement et durablement dans la croissance et le progrès. Les questions de mémoires permettent de remonter à l’Afrique réelle pour combattre efficacement les stéréotypes d’une Afrique falsifiée par l’idéologie coloniale. En réconciliant l’Africain avec son africanité, c’est-à-dire en le mettant en confiance, elles l’extirpent de cet entrelacement colonial qui entretient chez lui une tendance à l’extraversion et le met de facto au service d’une économie étrangère au détriment de la sienne. A ce propos, on peut regretter que le projet de coopération camerouno-germanique qui vient de s’achever, même s’il a le mérite d’instaurer un dialogue constructif entre l’Allemagne et le Cameroun au sujet de leur mémoire historique commune, même s’il a le mérite d’ouvrir une brèche de recherche certainement très fructueuse à l’avenir, n’a pas suffisamment révélé les traces de l’influences camerounaise sur les pratiques culturelles allemande ; confirmant quelque peu, à travers une exposition qui montrait exclusivement les traces de l’influence allemande sur le Cameroun, ce triste sentiment colonial d’une Afrique qui n’a jamais rien apporté au reste de l’humanité. Mais il ne s’agit très probablement que d’une partie remise car de nombreux étudiants de l’UDs, grâce à ce projet, ont été formés aux techniques de recherches archivistiques sur la mémoire coloniale allemande et nul doute qu’avec eux les traces de l’influence camerounaise sur l’Allemagne seront également mis à jour pour le plus grand bien de l’imaginaire africain.